Les coquillages protégés de Corse

La grande nacre & la patelle géante


La grande nacre - a niacara

Pinna nobilis Linné, 1758


Répartition générale et statut taxonomique

La grande nacre est un bivalve méditerranéen présent dans tous les bassins de cette mer (à l'exception de la Mer Noire) ainsi que dans l'Atlantique proche (côtes marocaines, espagnoles et portugaises sud) (Lozet et Dejean-Arrecgros, 1977 ; George et George, 1979).

Elle appartient à l'ordre des Mytiloïdes, superfamille des Pinnacea et famille des Pinnidae. Celle-ci est caractérisée par des valves identiques entre elles, une charnière dépourvue de dents et à crochet terminal, ainsi que par le byssus fixant l'animal au substrat. Il existe deux espèces proches : Pinna rudis Linné 1758 (synonyme : P. pernula Chemnitz 1785) et Atrina pectinata (Linné 1767) (synonymes : Pinna truncata Linné, 1767 et Atrina fragilis Pennant, 1777).

Pinna rudis se distingue de la grande nacre par sa couleur marron fauve, ses grosses lamelles tubulaires, sa taille plus petite (20 à 30 cm), son habitat rocheux (dans les failles : deux exemplaires observés par exemple à 6 m de fond dans une faille de remontée rocheuse exposée à la houle près de Porto, en juin 1991) et sa répartition essentiellement atlantique tropicale occidentale (des côtes africaines jusqu'aux Canaries et à la Méditerranée, où elle est assez rare). On peut la confondre avec certains jeunes individus de grande nacre aux tubercules bien développés, comme en portent ceux qui vivent en zone calme (coralligène ou herbier à plus de 20 m de profondeur par exemple). Ces jeunes nacres hérissées ont par ailleurs été décrites sous le nom de P. squamosa, qui est donc un synonyme de P. nobilis.

Atrina fragilis est très différente et impossible à confondre : de petite taille (20 à 30 cm), elle présente des valves triangulaires à la surface lisse et brillante. Elle est présente en Atlantique occidental (depuis les côtes anglaises jusqu'au Sénégal) et en Méditerranée, où elle recherche les fonds vaseux ou sableux assez profonds (30 à 600 m).


Particularités biologiques et caractérisation des biotopes occupés en Corse

La grande nacre est le plus grand mollusque à coquille méditerranéen et le deuxième plus grand du monde -après le bivalve indopacifique Tridacna maxima (Röding, 1798) qui atteint 130 cm-. Ses valves atteignent certainement 85 à 90 cm de longueur, peut-être même 100 cm d'après certains auteurs (Chaumeton, 1979 ; Lozet et Dejean-Arrecgros, 1977 ; D'Angelo et Gargiullo, 1991 ; Weinberg, 1992 ; de Beaufort, 1987).

La longévité dépasse vingt ans. La coquille des jeunes individus est ornée sur ses faces externes de tubercules épineux formés par les lignes de croissance ondulées qui disparaissent chez les plus grands spécimens, et ce d'autant plus tôt que le biotope est agité. Elle vit plantée d'environ un tiers à la moitié de sa hauteur et fixée par son byssus très abondant et long, dans les fonds sableux ou vaseux, entre 1 et 45 m de profondeur. Elle suit de très près la répartition bathymétrique des phanérogames marines (Posidonia oceanica (L.) Delile, Zostera noltii Hornem. et Z. marina L.) dans les herbiers desquelles elle se plaît particulièrement (D'Angelo et Gargiullo, 1991 ; Weinberg, 1992 ; de Beaufort, 1987 ; Vincente, 1990 ; Loques et Obolensky, 1992). Elle est d'ailleurs présente jusque dans certains étangs littoraux très marinisés (étang de Diana) et dotés de beaux herbiers de zostères, dans si peu d'eau que le haut des valves apparaît lors des basses eaux.

Les peuplements peuvent être très denses, formant de véritables champs de nacres (encore visibles à l'étang de Diana), mais les récoltes intensives de la part de plongeurs amateurs à des fins de décoration ou de commerce les ont faites presque totalement disparaître (Lozet et Dejean-Arrecgros, 1977 ; Weinberg, 1992 ; De Beaufort, 1987).

Actuellement, la grande nacre reste un coquillage assez commun dans l'herbier de posidonies des côtes corses mais en populations très clairsemées.

Les animaux sont soumis à des pluies plus ou moins constantes de particules et de sable qu'ils éliminent grâce à leur pied en forme de doigt (Weinberg, 1992). Certaines particules non éliminées peuvent être enrobées de calcite marron, formant dans le corps du mollusque une perle sans aucune valeur commerciale de part la qualité plus que médiocre de sa nacre. Un courant d'eau est maintenu entre les valves par une gouttière ciliée, permettant à l'animal de filtrer le plancton et les particules organiques dont il se nourrit et aussi de se débarrasser des fines particules indésirables qui sans ça rempliraient rapidement sa coquille (Weinberg, 1992). Le byssus, très long et fin, était autrefois tissé pour donner un tissu soyeux et doré très recherché (Chaumeton, 1979 ; Weinberg, 1992). Les valves servent de support à une foule d'animaux et de végétaux formant un véritable microscome, abritant à son tour des crustacés, mollusques, annélides, échinodermes...


Chorologie en Corse

La répartition bathymétrique de la grande nacre en Corse suit celle des herbiers de phanérogames marines. On la trouve depuis 1 m de profondeur dans, ou à proximité, des prairies de zostères (étang de Diana) jusqu'à 45 m en mer sur les fonds sableux ou vaseux, souvent dans, ou à proximité, des herbiers de posidonies.


Effectifs, tendances et menaces

Les effectifs de la grande nacre ont connu une chute spectaculaire depuis l'avènement de la plongée sous-marine dans les années 50. Considérée encore maintenant comme un trophée enviable, elle finit souvent ses jours comme attrape-poussière sur un meuble, et ses valves, qui se craquellent immanquablement en séchant, finissent en morceaux. De plus, solidement ancrée à des cailloux ou à des coquilles ensablés par son long byssus, elle reste difficile à arracher sans être brisée et, dans ce cas, elle est bien sûre abandonnée et meurt rapidement sous la dent des poissons ou sous le bec des poulpes.

Les grands champs de nacres des herbiers de posidonies, décris avec admiration par les premiers utilisateurs de masques de plongée, ne sont plus que des reliques confinées à des endroits très limités (Beaufort, 1987 ; Vincente, 1990 ; Loques et Obolensky, 1992 ; Maurin et al., 1994). Si elle n'est pas encore une espèce rare sur les côtes corses, la grande nacre est néanmoins très menacée par les récoltes, parfois intensives et faites à des fins commerciales (ses coquilles sont encore cotées en collection entre 15 et 200 F. suivant la taille) qu'elle subit et qui sont le fait de plongeurs en apnée ou autonomes.

À ces prélèvements s'ajoutent les destructions par certains engins de pêches (chaluts sur les herbiers de la Côte Orientale corse) et par les ancres de plaisanciers labourant les herbiers. Les pollutions d'origines urbaines et industrielles détruisant localement des surfaces d'herbier de posidonies (rejets d'eaux non épurées, sédiments entraînés en mer en grande quantité suite aux incendies répétés détruisant le couvert végétal côtier ou aux aménagements littoraux, etc.) affectent certainement de façon sévère les populations de nacres. Enfin, la pollution générale des eaux de la Méditerranée par les métaux lourds, pesticides, hydrocarbures, etc., diminue très probablement la fécondité des adultes et le taux de survie des ufs et des larves (Beaufort, 1987 ; Vincente, 1990 ; Frontier et Pichod-Viale, 1991). Les prédateurs naturels ne manquent pas non plus, qu'ils s'en prennent aux jeunes nacres (divers poissons de la famille des Sparidés et étoiles de mer surtout) ou même aux adultes (poulpes).


Statut de protection (réglementations nationales et internationales) ;
mesures déjà existantes

La pêche de la grande nacre est complètement interdite (arrêté du 26 novembre 1992) et ce coquillage est inscrit à l'annexe IV de la directive Habitat. De beaux peuplements sont présents et assez bien protégés dans la réserve naturelle de Scandola (Vincente, 1990) et dans l'étang littoral privé de Diana. Ailleurs sur le littoral, la pression de pêche est réelle et les densités faibles, sauf en de rares localités.


Bibliographie

 

 


La patelle géante - a lapara gigantessa, a patella gigantessa

Patella ferruginea Gmelin, 1791


Répartition générale et statut taxonomique

Ce gastéropode prosobranche de la famille des Patellidae est endémique à la Méditerranée occidentale (Lauzet et Dejean-Arrecgros, 1977 ; Laborel, 1985 ; Beaufort et al., 1987 ; Laborel-Deguen et Laborel, 1990). Il ne subsiste plus aujourd'hui qu'en Corse, Sardaigne, dans le sud-est de l'Espagne et en Afrique du nord (Maurin et al., 1994). Impossible à confondre avec une autre espèce grâce au bord crénelé de sa coquille et à sa grande taille (jusqu'à100 mm), son nom d'espèce n'a pas de synonyme.


Particularités biologiques et caractérisation des biotopes occupés en Corse

La patelle géante est un mollusque brouteur qui ne se trouve que dans une très étroite bande du littoral rocheux (quelle que soit sa nature : granite, calcaire, et même béton des brise-lames), juste au-dessus du niveau de la mer et plus précisément au-dessous des crustacés communément appelés balanes et au-dessus des algues Rissoella et Lithophyllum (Beaufort et al., 1987 ; Maurin et al., 1994 ; Laborel, 1985 ; Laborel-Deguen et Laborel, 1990).

En Corse, de longues zones littorales rocheuses sont dépourvues de cette espèce, soit qu'elles sont faciles d'accès et fréquentées par les pêcheurs à pieds, soit qu'elles n'offrent pas des conditions de vie adaptées. En effet, les patelles géantes se développent sur les rochers moyennement battus et fuient les modes extrêmes calme et agité (Laborel-Deguen, 1986 ; Loques et Obolensky, 1992).

Les jeunes se métamorphosent et commencent leur croissance (jusqu'à atteindre une taille de 10 mm environ) de préférence sur la coquille des adultes de la même espèce où ils broutent les micro-algues (Laborel, 1985 ; Laborel-Deguen, 1986 ; Laborel-Deguen et Laborel, 1990 ; Maurin et al., 1994).

Cette arapède solitaire ne forme jamais de population dense. Elle se déplace peu, ne s'éloignant que de 5 m environ de part et d'autre de son "domicile" par mer moyennement agitée à la recherche de nourriture.

La période de reproduction s'étend de la fin de l'été au début de l'automne, soit environ deux mois ce qui est court pour une patelle (Beaufort et al., 1987 ; Laborel-Deguen et Laborel, 1990).


Chorologie en Corse

L'arapède géante occupe une étroite bande du littoral rocheux médio-littoral moyen, dans la zone de balancement des vagues.


Effectifs, tendances et menaces

Jusqu'à la fin du siècle dernier, la patelle géante était présente et consommée sur tout le littoral rocheux du bassin occidental de la Méditerranée. Sa disparition des côtes provençales et de la côte d'Azur date du début de ce siècle (Beaufort et al., 1987 ; Maurin et al., 1994). En Corse, ses populations régressent sérieusement depuis une quarantaine d'années surtout dans les zones rocheuses accessibles aux pêcheurs à pieds (Beaufort et al., 1987 ; Laborel-Deguen et al., 1993). L'extrême découpage du littoral et l'inaccessibilité de nombre d'îlots ou de petites falaises a cependant permis à d'assez belles populations de se maintenir (Beaufort et al., 1987 ; Maurin et al., 1994 ; Loques et Obolensky, 1992). À titre d'exemple, la côte de Campomoro à Senetosa offre localement des densités de population moyennes de 1 à 2,2 individus pour 10 m linéaires de côte, et jusqu'à 5,3 très localement quand les conditions sont particulièrement bonnes (Loques et Obolensky, 1992).

Les menaces qui pèsent sur la patelle géante sont essentiellement celles-ci (Beaufort et al., 1987 ; Maurin et al., 1994 ; Laborel-Deguen et Laborel, 1990 ; Laborel, 1985 ; Laborel-Deguen et al., 1993) :


Statut de protection (réglementations nationales et internationales) ;
mesures déjà existantes

La patelle géante est interdite à la pêche par l'arrêté du 26 novembre 1992 et elle est inscrite à l'annexe IV de la directive Habitat (Maurin et al., 1994). Des populations existent dans les réserves naturelles de Scandola, des Cerbicales et des Lavezzi (Maurin et al., 1994), ainsi que dans la zone militaire de la base aéronavale d'Aspretto.


Bibliographie